Cérémonie de fin d’apprentissage des libraires.

Dans mon rôle d’expert aux examens finaux des apprentis libraires, il y a plusieurs phases. Tout au long de l’année, je pense souvent à ces examens oraux de Marketing du Livre et comment les rendre plus concrets, plus vivants. J’observe les promos qui sont proposées aux différentes librairies. Je regarde les vitrines de certaines enseignes plus ou moins prestigieuses plus ou moins littéraires. J’analyse les affiches dans les rues en vérifiant les règles graphiques de la publicité et j’imagine les proposer aux apprentis les jours d’examens. Une autre phase du Marketing du livre c’est d’imaginer et de mettre sur pied des animations réelles ou fictives dans leur librairie.

Dans mon activité de Libraire Solitaire je suis aussi appelée à organiser des évènements culturels. Parfois j’ai le temps de les préparer plusieurs mois à l’avance comme le Printemps de la Poésie, parfois c’est au pied levé que j’improvise un apéritif pour la sortie d’un livre. Ce fût le cas pour Philippe Favre. En quelques jours nous avons fixé une date, préparé un apéritif, alerté les réseaux sociaux et finalement rassemblé 50 personnes pour ce vernissage.Encore un peu plus scabreux, Lecture des Correspondances de Maurice Chappaz et Corinna Bille par deux magnifiques comédiens Roland Vouilloz et Olivia Seigne. Là aussi ce fût assez rock and roll. Nous avions trois semaines pour rassembler un public de 150 personnes dans la Grange à Chappaz pour trois lectures… et nous avons réussi ! Pari tenu ! Une grande performance théâtrale et littéraire.

Toutes ces réalisations pour vous donner une idée du parcours qui vous attend, chers apprentis.

De mon apprentissage studieux dans une librairie de Martigny, à ma nouvelle activité, il y a toute une vie ! Vous êtes au terme de votre apprentissage et personne ne peut dire ce que vous allez traverser tout au long de votre carrière.

Cette belle journée à la Fondation Michalski m’a beaucoup touchée. Vous voir, vous, chers apprentis, recevoir votre CFC et aspirer à garder ce métier toute votre vie ! Voir votre enthousiasme, votre fierté, votre soulagement d’être passés de l’autre côté du miroir !

Parmi les discours officiels, il y a celui de Marie Musy que j’ai envie de garder dans mon cœur. Ce discours a fait couler quelques larmes tellement car tout est dit. Ce fût la séquence émotion de cette cérémonie. Avec des mots justes, Marie parle de son parcours cabossé et de notre métier de libraire.Une belle conclusion pour clore cette journée, je vous laisse apprécier ses mots.

 

Mes chers libraires,

Il y a quelques temps, une dame est entrée dans ma librairie, elle y est restée un bon moment, a choisi quatre livres et une fois à la caisse m’a dit : « votre librairie est géniale, je vous trouve très courageux parce que ça ne doit pas être facile, je suis contente d’acheter ces livres ici parce que je me dis que si c’est votre rêve c’est bien de vous aider à le réaliser ! » Je l’ai remerciée, j’ai dit que « oui c’est vrai c’est pas facile tous les jours » on s’est dit « bonne journée à bientôt «. Elle est partie. Et puis j’ai pensé … Qu’en fait, mon rêve c’était plutôt d’aller pêcher des truites dans le Montana six mois par année, et bouquiner tranquillement dans un chalet à la montagne quand la rivière est gelée. J’ai pensé qu’acheter et vendre des livres, les retourner, les emballer, répondre à des clients et au téléphone, répondre à des clients au téléphone, avoir des idées pour une vitrine, courir après l’espace, aussi bien qu’après le temps, trimballer des cartons, passer des heures avec des représentants, ce n’était pas un rêve, mais une réalité, qui porte aussi un autre nom, c’est un métier.

Mes si chers libraires,

Ces quelques phrases sont le début de mon discours de l’année dernière, car cette année je ne savais vraiment pas comment le commencer. Vous, avec qui j’ai inventé des librairies au mois d’octobre, quelques semaines avant que la mienne disparaisse, vous qui m’avez écrit une magnifique carte, pleine d’encouragements et d’amitié au mois de janvier, vous que j’ai eu tant de plaisir à suivre en mai et juin, essayant de vous guider au mieux, sur le chemin passionnant et parfois caillouteux de vos examens. Vous m’avez fait rire, souvent, spécialement Léa et Benoit, j’ai aimé vous écouter, surtout Pierre lors de son oral de littérature, Tiffany pendant celui du Marketing, j’ai eu peur et mal pour Sofia, j’ai adoré discuter dans le métro avec Gaëlle, et Adrien, je crois bien que j’ai pleuré trois fois de joie pour toi. Vendredi dernier, alors que je pêchais enfin ma première truite, bon pas dans le Montana mais du côté des Clées, j’ai pensé que la pêche à la mouche n’était pas un rêve mais un art vraiment très compliqué, tout est une question de finesse, de technique, d’équilibre, d’observation, de connaissances, et de patience. Finalement cela ne me semble pas si éloigné que ça du métier que vous avez choisi, car être libraire c’est savoir jongler, entre la poésie et le notes de crédit, être un funambule, savoir marcher sur un fil, fragile, tendu entre ses livres préférés et la comptabilité, tenter de trouver son équilibre, entre ses envies, ses choix personnels et les lois du marché. C’est aussi s’enrichir, tous les jours ou presque, de ces rectangles en papier qui nous entourent et dont s’échappent des mots, qui nous permettent de nous évader, d’être bouleversés, de voyager, de réfléchir, d’aimer, de frissonner, de peur ou de bonheur. Les livres ont le pouvoir de nous briser et de nous réparer le cœur, ils contiennent une palette d’émotions sans fin, et je connais peu de joie aussi grande que celle de les transmettre, plus loin.

Mes si chers libraires, en cette année particulière, je vous félicite chaleureusement d’avoir appris un vrai métier, d’avoir obtenu vos CFC et je vous souhaite avec beaucoup d’affection de rester le plus longtemps possible curieux, amoureux des livres, et surtout, surtout, je vous souhaite d’être heureux, dans les librairies et partout, dans vos vies.

Marie Musy.

Marie Musy a créé avec son libraire la Librairie du Midi à Oron. Cette librairie a brûlé accidentellement l’hiver dernier.